Le charpentier fou
Une histoire de plan et d’maillet…
Toute cette histoire de bois et de charpenterie débute curieusement par un four. Pas n’importe quel four puisqu’il s’agit d’un four traditionnel à pain, d’un four longtemps attendu, d’un four habillant notre jardin d’une cuisine extérieure, d’un four qui, pour raisons expérimentales, éthiques et esthétiques, est fait essentiellement de terre et de paille, enfin, d’un four que l’on attends toujours.
En effet, tout aussi noble et traditionnelle que soit l’approche retenue, il n’en reste pas moins que la terre et la paille n’aiment pas trop se mouiller. Et pour un tel four, il aurait été dommage de se contenter d’un vulgaire toit bricolé rapidement avec trois vis et deux planches.
Or il se trouvait justement que je menais occasionnellement une étude sur le travail du bois depuis quelques mois : quelques lectures, une bonne dose d’inspiration lors de mes pérégrinations nippones et quelques menus essais tels qu’une maison pour pigeon paon, tristement délaissée par ces derniers, ou encore l’aménagement de toilettes sèches qui feront probablement l’objet d’un futur article.
Ce four qui n’est même pas encore là a donc une particularité supplémentaire, celle de constituer l’occasion parfaite de réaliser un projet utile et ambitieux d’abri pour une cuisine extérieure.
Utile bien sûr par le côté fonctionnel d’un tel abri, mais utile surtout car il s’agit d’une étape idéale sur mon chemin d’apprentissage entre la maison de pigeons paons inhabitée et ma potentielle future maison.
Ambitieux à plus d’un titre.
En toute chose, il est bon d’être attentif aux caractères de pérennité, de responsabilité et d’esthétisme. Ramené à la charpenterie, j’ai trouvé un optimum de ces éléments conjugués dans l’approche traditionnelle des japonais.
Bon gros débutant en la matière, je m’improvisais charpentier en autonomie quasi complète dans une construction hautement technique et dont le succès ou non de l’entreprise ne pouvait se voir qu’au terme d’un long et harassant ouvrage.
Toute cette idée un peu folle a germé à moins de trois semaines avant mon départ prolongé pour l’étranger. Dans ce temps imparti, il fallait donc réaliser les plans, trouver la matière première, combler les nombreuses lacunes dans mes connaissances et atteindre un premier palier dans la construction, celui du toit, pour que l’ensemble perdure en mon absence.
Approche traditionnelle des charpentiers japonais, c’est vague. On peut notamment distinguer les caractéristiques suivantes :
- Uniquement du bois : La structure principale du bâtiment n’est faite que de bois, pas de vis ou de clou. On a donc recours à diverses jointures ou emboitements entre chacune des pièces de bois. Cela implique une part importante, voire totale dans mon cas, de travail avec des outils manuels. Les outils accessibles au commun des mortels étant loin d’être suffisamment précis. Car oui la précision est fondamentale. La marge d’erreur pour chacune des jointures est extrêmement faible au risque d’avoir un bâtiment mouvant ou des angles empêchant l’emboitement des pièces suivantes.
À première vue, cela peut sembler un choix demandant beaucoup de travail et de précision. Rien que dans le plan ci-dessus, vous verrez non moins de 25 pièces de bois, chacune nécessitant au moins deux jointures avec d’autres pièces et donc plusieurs heures d’un travail physique et minutieux. Imaginez donc ce que ce serait pour une maison complète !
Mais les bénéfices sont significatifs.
Cela maximise l’usage de matière première locale et renouvelable.
Une structure ainsi faite est beaucoup plus pérenne. Mélanger le bois et le métal et l’on aura au fil des années corrosion du métal qui abimera ensuite le bois environnant, de plus le bois et le métal vivent différemment les évolutions en humidité et température si bien qu’unifier le matériau rend le tout beaucoup plus stable pour donner des constructions traversant les siècles.
Enfin, de ce mélange de simplicité et de complexité émane une certaine pureté et un esthétisme certain. - Puzzle : à la fois une touche sociale sympa et tout le suspense de l’approche pour le néophyte que je suis. Parce qu’une fois que l’on a passé plusieurs semaines, ou des mois pour une structure plus imposante, à préparer chacune des pièces, à les entreposer avec précaution, à prier pour que tout s’emboîte bien le jour J, et bien il faut en effet tout assembler, et il faut des bras pour cela et il faut espérer qu’il n’y aura pas trop de retouche à faire car sinon les bras invités pour l’occasion vont s’embêter !
- Pieds de pierre : dans l’ouest, on a souvent tendance à enterrer ou bétonner les pieds d’un bâtiment en bois. À l’est, traditionnellement ils posent simplement les pieds sur des pierres bien stables. Cela respire bien, c’est hors sol et le bois évitera ainsi de pourrir prématurément.
Peu de temps pour hésiter, on a donc relevé le challenge malgré le temps limité et la grosse incertitude sur la stabilité finale. Mes précédents essais à petite échelle de jointure s’emboitaient bien maladroitement et après moultes retouches…
La première difficulté était de trouver le bon bois. C’est à dire celui qui est local, celui qui tient bien naturellement face aux insectes et à l’humidité, celui qui se travaille bien avec précision pour les jointures et surtout celui que l’on peut trouver rapidement et dans les bonnes proportions !
Cette façon de travailler le bois ne se faisant plus beaucoup par chez nous, rassembler ces informations ne fut pas chose aisée et tout en étant heureux d’avoir trouvé notre bonheur en cinq jours à peine, une forte incertitude demeurait.
J’ai opté pour du pin Douglas. Il pousse en centre France, il est abordable en prix, résiste plutôt bien naturellement aux agressions, et soit disant se modelait plutôt bien.
Tout content d’avoir 14 chevrons de pin Douglas de trois mètres à section 94x94 dans le garage, il ne restait plus qu’à se lancer.
Pour un tel ouvrage, il faut les bons outils. Depuis quelques temps déjà que j’explorais ce sujet, j’avais récolté à droite à gauche de vieux outils bien pratique.
Il me manquait toutefois un maillet, marteau en bois essentiel pour manipuler les ciseaux à bois avec lesquels on creuse les jointures. J’ai donc commencé par m’en fabriquer un avec un bout de frêne du jardin.
Le bois étant une matière vivante, irrégulière et changeante, les précautions à chaque phase du projet sont nombreuses. Au stockage, il faudra veiller à être proche des conditions d’utilisation finale et à éviter toute tortion des chevrons. Au traçage des mesures, il faudra prendre en compte que l’on n’aura pas des formes géométriques parfaites et cela induit toute une science de la mesure en milieu irrégulier et les outils qui vont avec. Lors du travail du bois, la compréhension de celui-ci et de ses réactions en fonction des fibres, des noeuds, du type de bois est fondamentale. On a vite fait de fendre, de fragiliser ou de casser une pièce ou nos propres outils.
Pour cette dernière étape, l’essentiel de mes outils se limitait au maillet, aux ciseaux à bois, aux scies japonaises. J’ai quand même utilisé une machine ; une perceuse qui lors des creusées transversales m’a permis de dégrossir le travail par quelques trous préalables.
Un beau circuit court se mit en place car j’ai ainsi pu réalimenter notre stock de sciure pour nos nouvelles toilettes sèches et le compost.
Le travail s’effectuait tantôt debout sur établi, tantôt au sol à la japonaise suivant les besoins.
Oeuvrer sur des pièces de cette taille là changeait complètement la donne.
La moindre erreur pouvait rendre inutilisable un chevron entier et menacer le bon déroulement du projet car j’avais fait l’erreur d’acheter exactement la quantité nécessaire. En fait, j’ai même fait l’erreur d’oublier une pièce lors de l’achat et lorsque je m’en suis rendu compte, il était impossible de me la procurer dans les temps. J’ai donc improvisé avec de la récupération !
Et contrairement aux essais à petites échelles réalisés auparavant et que je pouvais assembler et désassembler à souhait pour valider le travail, là, ce n’était pas vraiment faisable. Le suspense était à son comble jusqu’au bout…
Après environ deux semaines à tracer, modeler, scier, expérimenter planifier, je finissais la dernière pièce (enfin pas tout à fait) le samedi soir alors que le rendez vous était pris pour le lendemain avec famille et amis pour le montage.
Il fallait encore aménager le lieu pour libérer l’espace, l’aplanir et préparer les pierres de fondation. Partie légèrement négligée mais sans trop en avoir le choix, elle me prit une bonne partie de la matinée du lendemain avant de pouvoir enfin assembler le puzzle. En fait, c’est sacrément difficile d’obtenir un niveau droit sur un sol meuble fraichement travaillé et avec des grosses pierres approximativement plates !
Grosse surprise et joie lors de l’assemblage !
La quasi totalité des pièces s’est emboitée directement. Une seule jointure a nécessité un peu de travail supplémentaire. La structure avait les bons angles et tenait debout !
Restaient ensuite à poser les diagonales de maintient, le toit bien sûr et innover pour trouver les chevrons de maintien du plan de travail manquants. Il me rester deux jours pour cela et accessoirement préparer mon sac pour le long voyage qui m’attendait !
Voilà ! Certes le héro de l’histoire, le tant attendu four, n’est toujours pas là, mais sa place est prête. La prochaine étape sera donc de concevoir un plan de travail pour cette cuisine d’extérieur, aménager des rangements, le four bien sûr et peut être aussi une plaque de cuisson sur un rocket stove pour cuire légumes ou le pain à la façon nord africaine.
Un grand merci pour le soutien, l’aide et même la finalisation après mon départ à ma famille.
Clin d’oeil final : j’ai longtemps réfléchi à la façon dont je pouvais faire les jointures d’angle, celles rassemblant en une zone unique un chevron vertical et deux chevrons horizontaux importants dans la fondation. Il fallait que cette jointure soit solide, jolie et pas trop complexe à réaliser car, croyez-moi, les charpentiers japonais font des découpes à peine croyables !
J’ai fini par opter pour celle que vous avez pu observer dans les photos ci-dessus. Et me voilà de retour au Japon depuis quelques jours, je commence cet article au moment où j’arrive chez des amis vivant dans des montagnes reculées. Une pause avant l’arrivée me donne l’occasion d’aller saluer un vieux temple juste au pied de leur montagne et, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je vis sur ce batiment datant de plus d’un siècle les jointures ci-dessous !