Passeur de cultures #2
La joie est nourriture pour l’âme…
Et un peu de nourriture peut être source de grande joie !
Tout autant que la musique, la nourriture est une passerelle incontournable entre les cultures. Ma pause transsibérienne autour du majestueux lac Baïkal illustre parfaitement cela ! Suite logique de l’article passeur de culture, premier du nom.
Triplette culinaire sur fond de Baïkal
Le plan initial était simple puisque sous le signe de l’improvisation : Le matin suivant mon arrivée à Irkoutsk, trouver un moyen de transport vers le lac, une fois arrivé, marcher, profiter, me baigner, dormir où mes jambes m’auront porté dans la journée, faire le trajet retour le lendemain et trouver un moyen de transport pour Irkoutsk ! Il ne fallait pas trop de retard à mon programme ceci dit car mon train pour Ulan Bator partait tôt le lendemain.
L’arrivée au lac laissera sa trace dans mon esprit : Le minibus bondé emportant à un rythme effréné mes dix compères russes et moi-même, la succession des forêts aux teintes rougeoyantes naissantes et bien-sûr l’apparition toute en démesure du Baïkal.
Aussitôt déposé à Listvyanka, petit village côtier et point de départ d’un tronçon du Great Baïkal Trail, j’entame la marche au milieu de la forêt automnale.
Une bonne montée dès le départ, l’arrivée au premier point de vue sur le lac, le temps de reprendre mon souffle, je remarque non loin de là une autre personne assise contemplant le paysage.
Là où deux individus auraient habituellement passé leur chemin, la salutation dans une langue commune et surtout nos deux visages tout aussi émerveillés l’un que l’autre nous amènent à entamer la discussion.
Il ne fallu pas attendre longtemps pour qu’il me propose de goutter le vin qu’il avait apporté pour l’occasion. De mon coté, je lui offrais en retour une rasade d’un bon calvados emporté de France à cette intention exactement. Son vin, bien agréable en cette circonstance, avait quand même une odeur prononcée de poisson fumé. Le questionnant sur cette originalité, le voici qui m’offre la moitié de l’omoul fumé, célèbre poisson endémique du lac, qu’il s’était procuré sur les rives avant son départ et dont l’odeur imprégnait tout son sac.
Après une longue discussion variée, instructive et simple, Alexei repartait pour Moscou et je poursuivais mon avancée vers mon lieu de campement encore inconnu. Se faisant, d’autres rencontres insolites agrémentaient la marche. Ici un culte qui restera obscur à mes yeux.
Là, ma seconde rencontre de l’excursion ! Nous restâmes bien quelques minutes à échanger tout deux. Fidèle à mes principes je lui offrais une de mes noisettes ; tout comme l’alcool, les fruits secs sont pratiques pour les échanges entre nomades. Je ne fus point nourri en retour mais il me ravi par son bel habit.
Les ombres commençant à s’allonger et les jambes à fatiguer, je jetais mon dévolu sur un des sites de campement autorisés et ce, malgré ma déception d’y voir une tente déjà plantée. Je tiens à ma vision idéale d’une nuit, seul face au lac Baïkal ; je prends donc le risque d’une remontrance par les gardes forestiers et m’éloigne légèrement en prenant, par la même occasion, un peu de hauteur pour le plaisir des yeux.
Début de soirée sur le bord du lac fort agréable avec la baignade inévitable, un dîner simple et un temps de réflexion face à mes carnets sous les rayons du soleil couchant.
Au loin, j’aperçois l’habitant de la tente avec son chien qui se promène tout en respectant ma tranquilité. Plus tard, le froid ne semblant jamais très loin autour du lac, il prend la place du soleil et me pousse à aller me dégourdir les jambes. À mon tour de tomber sur mon voisin. Il n’est plus seul, une seconde personne et une nappe bien garnie ont complété la troupe initiale. Ils me font signe de les rejoindre.
Je découvre un couple respirant le bien-être et la simplicité, Dimitri et Léna. Je m’installe auprès d’eux, ils m’offrent une tisane de feuilles ramassées non loin de là. Ils n’ont que quelques mots d’anglais mais la discussion s’installe très chaleureusement. L’heureuse coïncidence veut que ce même soir, nous ayons droit à un lever de pleine lune impressionnant sur le lac quelques minutes à peine après le début de notre échange. Puis la fatigue nous sépare.
Après une nuit d’une qualité égale à mes compétences de monteur de hamac, je descends au lac un peu avant six heures pour me remettre avec une séance de Mei Hua Zhuang et de Yoga.
Je ne suis qu’à moitié surpris de voir Léna déjà à l’oeuvre sur la plage. La laissant à son yoga, je débute les quelques respirations qui précède ma pratique ; le moment idéal pour apprécier le tableau paisible auquel je prends part : nos deux pratiques artistiques d’un coté, le lac avec ses douces vagues matinales de l’autre et le soleil orchestrant le tout de son lever. Puis c’est tout naturellement que nous mettons nos vivres en commun pour le petit-déjeuner.
Un porridge à la chaleur et au goût délicieux entre mes mains, je suis heureux de pouvoir leur faire découvrir en retour et pour leur plus grande joie apparemment, “Riffiss”, un gâteau de nomades du désert algérien. J’étais déjà touché de cette attention préparée par ma famille avant le début de ma vie nomade. Je suis heureux de repenser à tous les autres élans de gratitude qui se sont joints au mien le long de mon chemin depuis la France.
Encore une fois, un échange génial, simple et sincère sur tout un tas de sujets. Ils m’ont notamment fait rêver avec leurs marches sur les sommets que l’on distingue de l’autre coté du lac. Ce repas matinal se finit par une proposition que j’acceptais avec joie : faire la marche retour avec eux pour ensuite rentrer avec leur voiture sur Irkoutsk !
Et cette journée me réservait encore pas mal de belles surprises. La première d’entre elles fut le chemin du retour. Marcher avec des autochtones est toujours une expérience à ne pas manquer. Cette fois-ci, ce fut pour découvrir des chemins à flan de falaise magnifiques !
Nous arrivons en fin de matinée à la voiture après une marche au rythme paisible et une dernière baignade divine. Sur le trajet du retour, il me font comprendre qu’ils aimeraient me faire découvrir leur jardin. Ayant décidé de me laisser complètement porter par le hasard des bonnes surprises à la chaîne ces jours-ci et sachant qu’ils sont tous deux quelque-chose comme jardinier de profession, j’accepte avec plaisir.
J’apprends en route que ce “jardin” était en fait une datcha, sorte de d’habitation non habitée dédiée à la culture vivrière. C’est une pratique très répandue en Russie où l’on trouve de nombreuses datcha autour des villes. Dans des temps passés, elles étaient nécessaires au peuple pour produire sa propre nourriture et des zones entières leurs sont réservées. Il semble qu’elles ne font plus l’unanimité aujourd’hui mais c’est une autre histoire. Nous arrivons à ce moment dans ce fameux jardin à la végétation luxuriante.
La succession d’heureux évènements de la journée continue à la porte de la datcha. Leur visages s’illuminent et je comprends rapidement qu’une bonne partie de leur famille est déjà sur place oeuvrant au jardin et à la table ! En l’espace de quelques minutes à peine, je me retrouve au coeur d’une famille russe belle, et bien vivante. Il y a le père de Dimitri, calme vieux à la barbe grise, la mère qui veut me faire manger tout ce qu’elle apporte sur la table, le frère discret et travailleur, sa femme, pareil, et la mère bien bavarde de cette dernière. Tous s’affairent à droite à gauche, me laissant ainsi le loisir d’observer toute cette effervescence.
Amusant de voir qu’en plus de tout ce que je partage déjà avec mes deux nouveaux amis, nous nous retrouvons également sur le régime alimentaire. Nous complétons le repas déjà en partie préparé par une délicieuse salade tout juste cueillie dans le jardin. Et nous attablons dans une bonne ambiance.
Après le repas, nous prenons un peu de temps pour rassembler les dernières productions de la saison ; l’automne rude de la région arrive très bientôt.
Et c’est le retour vers ma destination initiale. Nous nous quittons amis et avec la promesse de se revoir pour gravir ensemble ces montagnes du sud-est Baïkal.
Voilà comment un peu de nourriture de chez soi et une attention bienveillante peuvent transformer une journée déjà promise pour être inoubliable en une journée absolument grandiose !